Le retour des masques, entre kitsch et nostalgie
- Werly Patricia
- 17 mars 2022
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 déc.

Kitsch ? Désuet ? Démodé ? Aujourd’hui, on dit vintage pour donner une sonorité plus tendance au carnaval vénitien. Avant de tenter un jour l'expérience en Vénétie, j’ai choisi d’explorer son écho français : le carnaval vénitien d’Annecy. Accessible, poétique, et toujours fascinant, surtout en ces temps post-pandémiques. Il commence dix jours avant le mercredi des Cendres et se se termine le jour du mardi gras.
Derrière le masque : une tradition vénitienne héritée du Moyen Âge
Au-delà des plumes, des masques, des robes somptueuses et des froufrous, c’est l’histoire du carnaval qui m’attire. Né en Italie au temps du Moyen-âge, il symbolisait autrefois la fête, la liberté et l’unité des habitants. Le masque vénitien effaçait les différences sociales : le riche se faisait pauvre, le pauvre devenait noble. Sous cet anonymat doré, toutes les audaces étaient permises, révélant déjà à l’époque le pouvoir du récit pour toucher un public à travers l’émotion et l’image. Au temps de Casanova, la Sérénissime s’abandonnait à la fête pendant six mois : danse, théâtre, festin, farce, jeu, libertinage… Venise brillait alors autant par ses courtisanes que par son effervescence.
Le carnaval d’Annecy : un écho feutré de Venise
En arrivant à Annecy, la “petite Venise des Alpes”, je découvre sur les ponts de la vieille ville les silhouettes mystérieuses de la Commedia dell’arte sur les quelques ponts de la vieille ville. En me baladant, je découvre les convenances de ces quidams. Les participants, silencieux, ne s’expriment qu’à travers gestes et mimes. L’éventail, selon sa position ouverte ou fermée, complète ce langage codé. Ce silence, presque religieux, me déstabilise, mais crée aussi une forme d’émotion grâce sa puissance. Aucun mot n'est échangé, aucune interaction. Je suis spectatrice d'un conte sans parole, un exemple frappant de storytelling visuel dans un format vivant, où chaque geste semble fait pour capter l’attention du public, transmettre une émotion et raconter une histoire sans discours traditionnel. Certains personnages se crispent face aux photographes trop insistants, toujours dans ce mutisme théâtral, ajoutant une tension aussi énigmatique que fascinante.
Une fête sans liesse ?
À la fin de la journée, mon appareil photo est rempli mais mon cœur reste tiède. Le carnaval vénitien d’Annecy semble avoir perdu un peu de sa ferveur. Je n'ai pas ressenti l'ambiance festive et chaleureuse qui semblait régner naguère. Hormis le défilé dans les jardins de l’Europe, proche d’un concours de Miss, peu d’animations, peu de musique, aucun parfum ni de victuaille d'époque. Où sont passés les troubadours, les saynètes, les rires ? Derrière la beauté figée des costumes, le carnaval semble s’être transformé en exposition silencieuse. En a-t-il perdu son âme ?
Un dernier éclat de magie
Alors que je quitte la ville, une apparition capte mon attention : une femme tout de blanc vêtue. Son extravagante crinoline soutient une magnifique robe pailletée. Son masque, surmonté d'une rangée de plumes, ne laisse entrevoir que deux grands trous derrière lesquels on devine une paire d'yeux. Elle grimpe la butte d’un pas décidé, lève les bras vers le ciel, tente différentes postures qui enchantent les photographes présents. Le spectacle fantasmagorique commence. Aucun son ne sort de sa bouche mais le corps s'agite. Autour d’elle, le silence s’épaissit, l’instant devient presque irréel. Les contrastes sont si saisissants que mon imagination l'associe à une illustration d'un conte, d'une histoire à moitié réelle. Je me doute bien que l'instant est précieux et je me dépêche donc de figer son portrait à travers mon appareil photographique.
C’est là, au détour d’un souffle, que je retrouve l’essence du carnaval vénitien : la poésie du mystère, la beauté du non-dit, la liberté sous le masque. Qui est cette femme ? Quelques jours plus tard, la photo publiée sur un célèbre réseau social remporte un franc succès. Elle est noyée dans ce grand barnum qu'est Internet. Elle suscite quelques réactions et démontre comment une image partagée sur un réseau peut faire vivre une émotion, créer du lien et toucher le consommateur bien au-delà du moment capturé. C'est alors qu'une chose incroyable se produit, la femme déguisée que j'ai photographiée se manifeste avec une réaction à ma publication. Elle voulait juste me remercier pour cette belle photographie et peut-être se montrer au naturel, sans fard ni masque. J'aurais presque préféré ne pas connaître son vrai visage, afin de continuer à rêver sur le mystère de son identité et me laisser imaginer un persona griffonné au crayon papier.
Entre rêve et réalité
C'est sur cette note magique que je décide de rentrer pour ne pas entacher ce souvenir de médiocrités. J'ai l’impression d’avoir entrevu une Venise cachée au cœur d’Annecy, éternelle et insaisissable.
Le carnaval vénitien d’Annecy reste une célébration singulière, plus feutrée, plus contemplative que festive. Mais pour qui sait regarder, il recèle encore cette âme mystérieuse qui fait tout le charme des traditions vénitiennes : le silence des gestes, la beauté des masques et la magie suspendue d’un instant hors du temps.




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